Réenchanter les réseaux sociaux à l’ère des algorithmes : mon interview avec Laurent François

Réenchanter les réseaux sociaux à l’ère des algorithmes : influence corner laurent françois

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Aujourd’hui, j’ai envie de vous emmener dans une conversation qui m’a profondément marquée.
J’ai eu l’occasion d’échanger avec Laurent François, planneur stratégique reconnu, observateur du vivant numérique depuis plus de vingt ans. Laurent est auteur de Crackez l’algorithme, réenchanter les réseaux sociaux, passionnant sur la transformation des réseaux sociaux.

Laurent possède ce regard hybride rare : celui d’un analyste culturel, d’un sociologue du digital et d’un décodeur de signaux faibles. Dans son travail, il cartographie les micro-vibes du web, les imaginaires émergents et les mutants culturels que les marques ne voient pas encore. C’est un explorateur patient et précis de ce qui « ne se dit plus » en ligne.

Son dernier essai propose un concept qui résonne fort dans nos métiers : l’algo-fluence, ou comment les algorithmes orientent nos goûts, nos interactions et même nos identités.

Dans cette interview, je l’ai interrogé sur la fragmentation sociale, le social listening, la disparition des conversations, les différences culturelles entre Londres et Paris, et surtout : comment recréer du lien dans un monde polarisé.

« L’algo-fluence, c’est l’influence exercée par les machines »

Je lui ai d’abord demandé d’expliquer ce concept central.

Laurent m’a décrit comment, il y a encore quinze ans, le web reposait sur les liens sortants, les références croisées et la découverte organique. Google récompensait l’ouverture, les citations, la richesse des sources. Les communautés se formaient autour d’intérêts réels, assumés, humains.

Puis l’ère des feeds est arrivée.

« Aujourd’hui, l’influence ne vient plus d’une personne. Elle vient de l’ergonomie, des dynamiques algorithmiques, du design des plateformes. Ce que tu vois n’est plus le reflet de ce que tu veux, mais ce que la machine calcule pour toi. »

Ce basculement a transformé les communautés :
elles ne se soudent plus autour d’affinités, mais autour de micro-comportements invisibles détectés par les plateformes.

Quelques gestes suffisent, un scroll, une pause sur une vidéo, un like, pour être catalogué dans un cluster que l’utilisateur n’a jamais choisi.

Et la conséquence est immense : la fragmentation sociale.

« On vit dans des prisons identitaires algorithmées »

Je lui ai parlé des « safe places » que les utilisateurs évoquent souvent. Sa réponse m’a frappée :

« Ce ne sont pas des safe places. Ce sont des endroits où la nuance disparaît. Les plateformes forcent chacun à se miniaturiser, à afficher un drapeau, un positionnement, une identité réductrice. »

Les bios Instagram ou TikTok en sont le symptôme : des étiquettes rapides, ultra-politisées ou ultra-identitaires, qui favorisent le conflit plus que la discussion.

Nous vivons dans des espaces clos où se renforcent nos biais.
Et cela touche aussi les plus jeunes, enfermés dans des patterns toxiques avant même d’en avoir conscience.

« Le social listening doit écouter ce qui disparaît »

Je lui ai demandé : dans ce chaos, comment pouvons-nous écouter les conversations pour aider les marques ?

Sa réponse : le social listening traditionnel est dépassé.

« On doit écouter ce qui n’émerge pas, ce qui ne se dit plus, ce qui disparaît. Une énorme partie du web s’efface. »

Il identifie trois nouvelles priorités :

1. Explorer les marges

Les signaux faibles vivent désormais dans :

  • les Discords très niche,

  • les subreddits obscurs,

  • Telegram,

  • Signal,

  • WhatsApp,

  • les forums résiduels.

Ce ne sont plus les plateformes mainstream qui créent la culture, mais leurs marges.

2. Observer les usages plutôt que les mots

Ce qui compte aujourd’hui :

  • les micro-gestes,

  • les formats choisis,

  • les codes visuels,

  • les comportements implicites,

  • les émotions dans les commentaires.

Le texte est devenu minoritaire.
Le sens se cache dans le comportement.

3. Modéliser avec l’IA

Laurent insiste sur l’importance des outils comme NotebookLM ou TB2A :

« L’IA est un outil de cartographie mentale. Elle ne remplace pas l’analyse humaine, elle la rend plus vaste. »

Londres vs Paris : deux visions de la communauté

Laurent a vécu à Londres et à Paris. Je lui ai demandé comment ces villes influencent leur culture numérique.

🇬🇧 Londres : la communauté par l’expérience

Londres fonctionne comme une mosaïque de villages.
Les communautés s’y construisent dans des lieux physiques, autour d’activités, de pop-ups, de tiers-lieux.

La communauté est une pratique.

🇫🇷 Paris : la communauté par l’idée

En France, on théorise davantage.
On crée des communautés autour de valeurs, de discours, d’intentions culturelles ou politiques.

La communauté est un concept.

Cette différence influence profondément la création de contenu, les événements, l’influence, les prises de parole.

« Les marques doivent produire du temps long »

Je lui ai demandé comment les marques peuvent recréer des ponts entre les communautés fragmentées.

Voici les trois leviers qu’il voit :

1. Reprendre la maîtrise des plateformes

Les marques financent les réseaux via la publicité.
Elles peuvent — et doivent — imposer plus de cadres.

2. Ramener le temps long

Dans un web qui accélère tout, certaines marques choisissent de ralentir :

  • éditos imprimés,

  • documentaires,

  • projets culturels,

  • expériences physiques.

Ce temps long recrée du sens et du lien.

3. Produire des objets culturels

Il cite des fanzines, journaux créatifs ou projets éditoriaux :

Ces objets créent du collectif, de la réflexion, des ponts entre des publics qui ne se croiseraient jamais en ligne.

« Une marque ne doit pas parler de tout »

Je lui ai finalement demandé : comment naviguer les sujets politiques ou sensibles ?

Sa vision : « Une marque doit être claire sur son contrat de lecture. Elle choisit trois ou quatre engagements forts. Pas cinquante. L’important, c’est la cohérence. »

La pire erreur : parler d’un sujet sur lequel la marque n’a aucune légitimité culturelle.

La meilleure approche : incarner réellement un engagement pratique, concret, humain.

« Réintroduire de la nuance et un peu de poésie »

Nous avons terminé sur une note plus intime. Pour lui, le vrai rôle des réseaux sociaux reste inchangé :
ils sont encore des lieux où l’on crée des liens, où l’on se confie, où l’on ressent, où l’on vit des émotions très réelles.

« Il faut remettre de la nuance, de l’humain, de la poésie. C’est ça, réenchanter les réseaux sociaux. »

Conclusion : remettre le lien au centre

Cette conversation m’a confirmé une conviction :
le problème n’est pas la technologie.
Le problème, c’est la perte du commun.

L’algo-fluence fragmente.
Les machines catégorisent.
Les feeds isolent.

Mais les marques et nous, professionnels du marketing peuvent recréer du lien, du sens, du temps long.
Nous pouvons aider les communautés à se reparler, se rencontrer, se comprendre à nouveau.

Et c’est peut-être ça, la prochaine mission du marketing : réparer les ponts.

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Myriam OUNI influence corner

Myriam Ouni

Influence Strategist

J’aide les marques à poser les bases de leur stratégie d’influence avec un audit d’influence et une recommandation stratégique personnalisée

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